Quand j’ai annoncé à mes amies que j’allais porter un bustier, une collerette en dentelle et une robe de style élizabéthain brodée et ornée de perles, pour la couverture de mon livre, ils ont eu quelques doutes. Par le passé, j’avais flirté avec l’androgynie en portant des bijoux de femme et une touche de parfum, mais je n’avais jamais encore porté de robe. Pour mes amies, l’idée d’un homme portant une robe -même si cela demande à mon sens une paire de couilles supplémentaire – semblait essentiellement perverse. Pour moi, cela tombait sous le sens. Mon livre, Fairytales for Lost Children, parlait des gays somaliens explorant leurs identités sexuelles et leurs rôles genrés, alors pourquoi ne pas s’inspirer de ces thèmes en revêtant une robe incrustée de bijoux ?
J’aimais l’audace flamboyante du concept, mais lorsque je suis allé chez le costumier pour mon premier essayage, l’impertinence à laissé place à quelque chose de plus évolutif et surprenant. Alors que le costumier laçait mon corset, je ne me sentais pas contraint. Au contraire, je me sentais -et ça se voyait – sensuel, beau, puissant, viril.
Dans Against Interpretation and Other Essays, Susan Sontag défends l’idée que « Ce qui est le plus beau dans un homme viril, c’est est quelque chose de féminin ; ce qui est le plus beau dans une femme féminine, c’est quelque chose de masculin. » Pour moi, c’est la vision la plus élégante de la théorie jungienne de l’anima et de l’animus -le principe féminin chez les hommes et le principe masculin chez les femmes.
Selon le psychothérapeute Carl Jung, l’anima symbolise la manière inconsciente dont la plupart des hommes réprime leur sensibilité, ou ce qu’ils perçoivent comme leurs qualités psychologiques féminines. L’animus constitue l’équivalent pour les traits masculins réprimés chez les femmes. Jung percevait le processus de l’anima comme une immense source de créativité.
Ma compréhension personnelle de l’anima est enraciné dans mon éducation. J’ai grandi entouré de filles et en grandissant, mes amies m’empruntaient sans arrêt mes bijoux ou mes parfums et me demandaient des conseils de maquillage. Cette énergie féminine en moi était considérée comme une qualité attirante par ces femmes, car elle signalait une affinité, le sentiment d’une sensibilité partagée – une part d’androgynie présente en chacun.e de nous, tissée avec vigueur et vitalité.
Quelques unes de nos figures culturelles les plus influentes – David Bowie et Prince en particulier – ont joué avec cette dichotomie pendant des décennies. Miles Davis a résumé le sex-appeal viscéral de Prince en ces termes : « Il a ce truc torride, presque comme un mac et une pute qui fusionnent en une seule figure – ce truc travesti ».
Dans la culture somalienne, l’hyper masculinité est la qualité la plus désirée chez les hommes. Féminité signifie douceur, légèreté du toucher : des qualités imposées de façon agressive aux filles et aux femmes. Quand une femme ne possède pas (ou refuse) ces qualités féminines, c’est considéré comme un acte mineur de résistance sociale. Ce principe s’applique aussi aux hommes qui ne sont totalement masculins, mais les enjeux sont alors bien plus important. Si un homme somalien est perçu comme féminin, il sera jugé faible, impuissant, pitoyable : le message sous-jacent est que la féminité est par essence inférieure à la masculinité.
Des variantes de ce mode de pensée existent dans la plupart des cultures, des systèmes de croyance, des races et des sexualités : la culture gay occidentale est tout autant obsédée par l’hyper masculinité que les patriarches des clans somaliens. La féminité est principalement perçue comme une qualité non désirable, à l’opposé des caractéristiques masculines hyper valorisées, et l’efféminophobie atteint son apogée sur les sites de rencontres gay avec les tristement célèbres mentions « pas de mecs efféminés » ou « seulement des mecs masculins » que l’on retrouve sur la plupart des profils.
Dans le cas des hommes gays, on pourrait rétorquer que des décennies (sinon des siècles) de stigmatisation ont créé une culture de la conformité nourrie par l’homophobie intériorisée : l’accusation – et c’est véritablement une accusation – selon laquelle des hommes attirés par d’autres hommes ne pouvaient pas être vraiment masculins, a laissé des marques durables. Mais que deviennent tou.te.s celleux qui ne rentrent pas dans la catégorie « straight acting » ? Et après tout, les émeutes de Stonewall, qui ont marqué la naissance des mouvements gays pour les droits civils, n’ont-elles pas été lancées par la communauté transgenre, les drag queens et les folles – les membres les plus marginaux de la communauté gay ? Ne devraient iels pas être nos héros/héroïnes ?
La justification de l’efféminophobie repose souvent sur des arguments usés jusqu’à la corde contre l’hypervisibilité « camp ». Des artistes célèbres et populaires comme Paul O’Grady, Graham Norton et Alan Carr sont constamment cités comme des stéréotypes d’artistes gays répondants aux attente d’une société dominante imaginée : flamboyants, avec des personnalités fortes mais inoffensifs et le plus souvent désexualisés. Mais il faut beaucoup d’audace pour être aussi charmant et exubérant qu’O’Grady, Norton et Carr l’ont été pendant leurs carrières. Chacun de ces artistes a réussi à transformer son expérience d’homme gay efféminé en or comique, et leurs gloussements hilares leur ont permis de s’en mettre plein les poches.