LOCs – Une fierté pour qui ? Une fierté pour quoi ?

Une fierté pour qui ? Une fierté pour quoi ? De l’opportunisme des alliances et de la visibilité

En réponse à l’appel pour une première « marche des Fiertés en banlieue », le 9 juin 2019, à Saint-Denis

Lesbiennes of color (LOCs) statement on the organisation of Pride in the French banlieues on 9 June 2019. Statement issued on 6 June 2019.

Nous LOCs – Lesbiennes of color avons pour certaines grandi en banlieue, y vivons actuellement, y travaillons, y luttons, ou nous y réfugions, notamment à Saint-Denis où aura lieu la première marche des Fiertés en banlieue. Cette marche proposée par une association dont le but est, entre autres, de donner « une meilleure image de la ville de Saint-Denis » nous interroge.

Pourquoi et comment mener des alliances avec des associations institutionnalisées, telles que l’inter- LGBT ou SOS homophobie, qui n’ont aucune connaissance de nos vies, de nos enjeux, de nos manières de vivre ? Nous ne pouvons accepter que Saint-Denis soit la vitrine d’un pinkwashing à la française qui derrière une pseudo-visibilité laisse intactes les conséquences des politiques racistes, sexistes et capitalistes, qui broient la vie de nos familles, de nos communautés, de nos ami.e.s et camarades, ici et ailleurs. Dans cette façon d’investir Saint-Denis et LA banlieue, nous ne pouvons voir autre chose qu’un désir de s’acheter une bonne conscience et, par la même occasion, l’histoire de nos luttes. Nous sommes actrices de nos espaces et de nos stratégies, nous accordons une grande importance à l’héritage et à la transmission de nos luttes et analyses, c’est pourquoi nous n’oublions pas le coq français fièrement représenté sur la première affiche de la Marche parisienne de 2011, proposé par l’inter-LGBT. Depuis cette proposition aux relents racistes, sexistes, nationalistes voire pétainistes, nous n’avons pas vu l’inter-LGBT s’élever publiquement contre un racisme décomplexé, ni même le combattre activement en son propre sein. Alors pourquoi venir nous donner des leçons d’intersectionnalité à Saint-Denis ?

Nous Lesbiennes of color refusons que cette marche soit un signe de plus envoyé par la Mairie aux gentrifieurs de tous bords faisant de nos quartiers des opportunités pour familles homoparentales blanches et aisées au détriment des lesbiennes précaires qui ne se sentent pas moins en sécurité ici que dans Paris où elles sont contrôlées, agressées, harcelées, mais aussi exotisées, dépolitisées, ignorées ou invisibilisées. La Mairie finance cet événement, mais où se trouve donc l’argent quand il s’agit de nous loger dans des appartements décents ou simplement de ne pas nous y laisser mourir et de nous reloger quand nos immeubles s’effondrent ou brûlent ? Nos vies lesbiennes devraient être fières d’avoir des lits confortables pour accueillir dignement nos compagnes, nos familles et nos ami.e.s réfugié.e.s.

Être visibles le samedi 9 juin, mais avec quels objectifs et quelles conséquences pour nos luttes, nos communautés et nos sœurs qui ne sont pas protégées tout le reste de l’année ? Nos expériences de vie sont celles de lesbiennes issues des migrations post-coloniales, exilées, réfugiées, prises dans des réseaux communautaires et familiaux de solidarités complexes qui ne sauraient être réduites à la seule rhétorique du coming-out et de la visibilité publique. Nous luttons pour accompagner des lesbiennes réfugiées et contre les fascismes qui restreignent nos vies. Nous savons comment et quand être visibles, nous n’avons attendu aucune autorisation pour nous organiser, pour bâtir des espaces safe et construire des solidarités internationales. Depuis des années nous résistons et prouvons nos richesses, nos forces dans les combats que nous menons, dans un réseau alliant de nombreux collectifs dionysiens et au-delà, bien loin du désintérêt total que ces associations ont à l’égard de nos vies en dehors de leurs codes et de leurs espaces. À qui une parade apporte-t-elle de la valeur, in fine ? Toujours aux mêmes. Ceux qui savent la valoriser dans des dossiers de financement dont l’argent ne sert en rien nos intérêts.

Organiser une fête au 6B dans la foulée de cette marche, lieu gentrifié repéré comme n’ayant aucun lien avec le reste de la ville, où la plupart des personnes dites racisé.e.s sont à la sécurité ou à la cuisine et où les personnes LGBTQI racisées dionysiennes ne sont pas accueillies, dans la mesure où les évènements sont pensés la plupart du temps pour des fêtard.e.s et consommateurs de culture qui ne connaissent de Saint-Denis que sa gare, sa basilique et ses quartiers malfamés, nous semble révélateur. La Mairie, qui finance cette marche, et les associations qui l’appuient ne se soucient guère de l’absence totale d’espaces pour les communautés LGBTQI des banlieues ségréguées. Les LGBTQI racisé.e.s, notamment celles et ceux vivant dans ces banlieues, n’échappent pas au racisme, à l’islamophobie, aux violences policières et à la chasse aux migrant.e.s. Nous ne pouvons pas lutter sans prendre en compte ce contexte. Aucun mot non plus dans l’appel diffusé par les organisateurs de cette marche sur le sexisme qui traverse tous les lieux où nous sommes, que les associations de lutte contre l’homophobie devraient pourtant, à force, prendre en compte, ni sur le capitalisme sauvage qui nous oppresse et nous empêche de nous épanouir quand il ne nous empêche pas tout simplement de vivre. Nous regrettons sincèrement ces alliances hasardeuses dont nous savons que les maigres fruits seront volés.

Nous n’y voyons qu’une logique de kit pinkwashing clé en main – comment le voir autrement ? Nos corps lesbiens sont peut-être invisibles et inaudibles pour beaucoup, mais nous continuerons à nous battre en cohérence avec nos vécus et les quartiers dans lesquels nous vivons, car comme le dit bell hooks « les marges sont à la fois un lieu imposé par les structures oppressives mais aussi un espace de radicale possibilité et de résistance ».

Soyons radicales et ne soyons pas dupes : tout ce qui est fait sans nous ne peut être fait pour nous !

Le 6 juin 2019
Groupe LOCs – Lesbiennes of colorespace.locs@gmail.com

Présentation du groupe LOCs 

Créé en 2009, LOCs (Lesbiennes Of Color) est un groupe non mixte dans une lutte intersectionnelle : racisme, lesbophobie et sexisme. Composé de lesbiennes politiques exilées, réfugiées, issues des migrations post coloniales, qui ont en commun l’histoire des colonisations, la mémoire de l’esclavage et les luttes contre les politiques migratoires gouvernementales et le néolibéralisme, le groupe LOCs est autonome, féministe et solidaire.

Avec ce texte, nous voulons apporter un point de vue lesbien politique of color qui nous représente, dans une volonté de bâtir des luttes communes qui ne soient pas sous l’ombre de ce qui nous paraît être une énième forme de tutelle, de main mise ou de récupération. L’autonomie politique de nos luttes est un combat éreintant et nous avons un rapport de force à créer. Nous interrogeons la stratégie mise en place à Saint- Denis mais nous soutenons clairement la visibilité de nos sœurs, frères, camarades et ami.e.s of color LGBTQI. A aucun moment nous ne remettons en question les stratégies individuelles légitimes mais le fait que l’organisation d’une marche des fiertés relève d’une stratégie politique institutionnelle. Contre les attaques subies par les camarades qui organisent la marche, nous serons évidemment toujours solidaires. Loin de nous l’idée de se désolidariser de luttes que nous avons en commun.

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